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Mise à disposition gratuite d’un bien démembré : calcul de l’indemnité de rapport

Une femme décède le 8 février 2015, laissant pour lui succéder ses deux fils. L’un d’eux a occupé gratuitement depuis janvier 1971 jusqu’au décès de leur mère usufruitière, à titre privé et professionnel, une partie d’une propriété familiale dont il était nu-propriétaire avec son frère. Ce dernier assigne son cohéritier en justice en vue d’obtenir le rapport de l’avantage indirect résultant de cette occupation gratuite à la succession de leur mère.

Le frère défendeur fait grief à l’arrêt d’appel de dire qu’il a bénéficié d’un avantage indirect et de le condamner à rapporter à la succession la somme de 261 536 € à ce titre. Il soutient, d’une part, qu’il a réalisé des travaux en 1971 et 1972 en vue de rendre la propriété habitable. Or, il fait valoir que pour être rapportable, un avantage indirect doit avoir causé un appauvrissement du de cujus. D’autre part, il argue que le montant dû au titre du rapport ne peut excéder l’appauvrissement du gratifiant. Il reproche ainsi à la cour d’appel d’avoir calculé le montant de l’avantage indirect en se bornant à déduire des loyers qui auraient dû être versés « le montant des travaux payés pour le compte de l’usufruitière », c’est-à-dire les réparations d’entretien, alors qu’il y avait lieu de tenir compte de l’ensemble des réparations incombant à celle-ci en sa qualité de bailleresse, ce qui incluait les grosses réparations.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. D’une part, elle affirme qu’il n’était pas démontré que l’immeuble n’était pas, à l’époque où les travaux ont été réalisés, en état d’être mis en location. D’autre part, en ce qu’il cumulait les obligations d’un locataire et d’un nu-propriétaire, le gratifié ne pouvait réclamer à l’usufruitière le remboursement des travaux qui, tout en constituant des réparations autres que locatives – en cela mises à la charge du bailleur par l’article 1720 du Code civil –, relevaient du domaine des grosses réparations imputées au nu-propriétaire par l’article 605 du Code civil.

 

À noter : pendant longtemps, la Cour de cassation a multiplié les décisions admettant le rapport successoral de l’avantage indirect résultant de la mise à disposition gratuite d’un logement au profit d’un enfant (Cass. 1e civ. 14-1-1997 no 94-16.813 ; Cass. 1e civ. 8-11-2005 no 03-13.890 P-B). Ces décisions s’appuyaient sur un but d’égalité des cohéritiers et étaient confortées par la loi du 23 juin 2006 posant le principe de l’obligation au rapport des donations de fruits et revenus (C. civ. art. 851, al. 2).

Puis, par quatre arrêts rendus en 2012 et 2014, la Cour de cassation a fait machine arrière (Cass. 1e civ. 18-1-2012 no 10-25.685 FS-PBI ; Cass. 1e civ. 18-1-2012 no 10-27.325 FS-PBI ; Cass. 1e civ. 18-1-2012 no 11-12.863 FS-PBI ; Cass. 1e civ. 25-6-2014 no 13-16.409 F-D ). Il a résulté de ce revirement que :

  • – d’une part, l’avantage indirect induit de la mise à disposition gratuite n’est assujetti au rapport que s’il constitue une libéralité ;
  • – d’autre part, la qualification de donation qui commande le rapport impose que soit rapportée la preuve d’un appauvrissement du disposant et d’une intention libérale de ce dernier. Ce point délicat dépend de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Parfois, ces questions ne se posent pas. La Cour de cassation a ainsi admis que la mise à disposition gratuite d’un logement, dès lors qu’elle a été qualifiée par les juges du fond de prêt à usage (ou commodat), et donc de contrat de service gratuit, confère seulement à son bénéficiaire un droit à l’usage de la chose prêtée sans transfert de droit patrimonial à son profit : aucun appauvrissement du prêteur n’étant caractérisé, la qualification d’avantage indirect rapportable doit être écartée (Cass. 1e civ. 11-10-2017 no 16-21.419 FS-PB).

Dans le présent arrêt, la Haute Juridiction retient la qualification d’avantage indirect rapportable attribuée à la mise à disposition gratuite d’un immeuble. Cela tient peut-être à la durée particulièrement longue de l’occupation gratuite (44 ans) ainsi qu’à l’usage mixte de la propriété, servant à la fois de logement et de cabinet de médecin à l’enfant bénéficiaire. La question du prêt à usage n’a en tout cas pas été soulevée. Quoi qu’il en soit, dès lors que le caractère d’avantage indirect rapportable est retenu comme en l’espèce, se pose la question de l’appauvrissement du disposant. Ici, la difficulté était accentuée, d’une part, par le démembrement de la propriété entre la mère, usufruitière, et ses deux fils nus-propriétaires et, d’autre part, par le fait que l’enfant bénéficiaire avait effectué d’emblée des travaux d’importance dans la propriété avant de l’occuper. Pour que l’appauvrissement du disposant soit écarté, il appartenait au bénéficiaire de démontrer que l’immeuble n’était pas en état d’être loué lors de sa mise à disposition. À défaut, il convenait d’articuler les règles du droit des libéralités et des successions (C. civ. art. 843) avec celles du droit des biens (C. civ. art. 1720 et 605). Une fois posée l’assimilation du nu-propriétaire occupant au locataire et une fois admis que le montant rapportable au titre de la libéralité correspondait aux loyers qui auraient dû être versés, déduction faite du montant des travaux incombant au disposant, la question portait sur la qualification des travaux permettant de déterminer la répartition de leur charge :

  • – à l’usufruitier/bailleur les réparations d’entretien nécessaires autres que locatives ;
  • – au nu-propriétaire les grosses réparations – concernant la structure et la solidité générale de l’immeuble – et, en sa qualité d’occupant, les réparations locatives.

Il en résultait que l’enfant occupant à titre gratuit, qui était tenu en sa qualité de nu-propriétaire, avec son frère coindivisaire, des grosses réparations qu’il avait financées sur l’immeuble, était débiteur d’une « indemnité de rapport égale aux loyers qui auraient dû être payés si les lieux avaient été loués, après déduction du seul montant des réparations et frais d’entretien incombant normalement à l’usufruitière ».

 

Source : Cass. 1re civ. 2-3-2022 n° 21-21.641 F-B

© Lefebvre Dalloz

 

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